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Channel: l'armoire essentielle
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Question-réponse : Peut-on vivre avec le désordre des autres ?

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Laure à Jeanne-Aurore : Pourrais-tu me dire, après ta lecture de « The Life-Changing Magic Of Cleaning Up », dont tu nous a vanté les mérites l'autre jour : comment rester zen face aux autres membres de la famille, qui, eux, ne trient pas (et peut-être ont-ils raison, dans la mesure où ils se sentent bien comme ça) ? Comment passer de manière détachée devant le barda de ses enfants ou le rasoir que son homme laisse traîner, sans avoir une irrépressible envie de tout remettre à sa place (ce que, en général, ils détestent) ?

Jeanne-Aurore à Laure : Ah Laure, Laure, Laure, comme je te comprends. Le barda des enfants (dans mon cas, la collection complète des figurines de Cars et Planes, en résidence permanente partout dans la maison sauf là où je le souhaiterais, c’est à dire ce satané bac à jouets) ! Le rasoir traînard ! Le conjoint qui assimile le rangement à une initiative aussi saugrenue, si ce n’est plus, que de déménager en Papouasie Nouvelle Guinée pour ouvrir une crêperie bretonne ! Mais oui, je connais ! C’est moi, ça ! Donc autant dire : tu as frappé à la bonne porte avec ta question.

Cela dit, pas sûr que tu aimes ce que j’ai à te dire. Car ma réponse est la suivante : je ne suis pas sûre qu’on puisse rester zen et détachée face au barda des autres si l’on est soi-même du genre rangé, Marie Kondo et « magie du rangement » ou pas. Ce n’est tout simplement pas possible. On ne peut pas nous demander ça. Ce serait comme nous demander, je ne sais pas, de décider qu’Outsiders n’est plus le meilleur film du monde. Ou que la mode des nineties était beurk. C’est juste infaisable. Nous aimons l’ordre et ceux avec qui nous vivons trouvent le chaos « créatif ». Nous sommes comme ça. 

Après, et c’est une première incitation à prendre du recul, peut-être faut-il se demander pourquoi nous, les rangées, les disciples de l’essentiel, nous retrouvons à partager nos vies avec des barbares amateurs de bazar. Cruel tour du karma ? En réalité, si je m’imagine vivant avec deux autres moi-mêmes adeptes du tri et du rangement, en lieu et place des amateurs de chaos qui partagent ma vie, je dois dire que ça me fait un peu froid dans le dos. S’il ne tenait qu’à moi, tout ne serait que boîtes de thé rangées au cordeau et murs blancs. Mais serait-ce mieux ? Ce que je veux dire par là c’est que ta vie, ma vie de trieuses consciencieuses ont peut-être besoin de ces hurluberlus qui viennent secouer nos envies de perfection. Sans eux, tout serait en ordre, certes, mais peut-être un peu barbant. Donc, plutôt que lâcher prise, commencer à imaginer un quotidien sans jouets qui traînent, sans rasoir sur l’évier. Ce serait clean, mais peut-être moins fun. Non ?

Mais je sais bien ce que tu vas me dire ! « Rien à foutre de tes considérations métaphysiques sur la gratitude, l’Autre qui m’ouvre à un autre monde, moi ce que je veux c’est qu'on arrête de me foutre le boxon chez moi et ne plus me retrouver à ranger derrière tout le monde. » Et là, je t’arrête tout de suite. A moins de tout plaquer et t’installer en solo dans ton appart à toi, ta vie de famille implique, fatalement, douloureusement, inexorablement, que des malotrus, que par ailleurs tu aimes d’amour, viennent mettre le bazar chez toi. Parce que chez toi, c’est chez eux. Et que tandis que tu aspires à un espace rangé et dépouillé, eux aspirent à laisser traîner leurs Converse sur le piano et le couteau plein de Nutella sur la table de la cuisine. Autant dire que c’est le clash des Titans entre deux visions du monde. Team « boîtes Muji » d’un côté et Team « bordel organisé » de l’autre. Autant te dire que le combat est perdu d’avance pour les adeptes du rangement : les autres auront tôt fait de prendre toute la place.

Alors, que faire ? Peut-être être un peu bouddhiste et ne rien faire. Ou en tout cas arrêter de faire certaines choses. Comme trier à la place des autres (là je parle de moi et des tris maintes fois menés en douce dans les placards d'autrui), ranger le rasoir, remettre en place le barda des mouflets. Marie Kondo prétend que c’est le meilleur moyen d’inciter autrui à se prendre en charge. Je crois surtout que c’est un cadeau à se faire à soi-même, en arrêtant d’être le grand ordonnateur du bazar des autres. Cela fera un peu plus de bordel, certes, mais sans doute un peu plus de temps pour soi. Ce que l’on a le droit de faire, en revanche ? S’occuper de ses fesses, ou en tout cas de son barda à soi. Car, bien souvent, on peste contre celui des autres pour n’avoir pas à se pencher sur le sien.

Et puis, encore une fois, se rendre compte que finalement, nos fauteurs de trouble domestique ne sont pas si tragiques que ça. Qu’ils n’aiment peut-être pas ranger mais se montrent très magnanimes dans leur acceptation de nos propres crises de tri. Qu’ils tolèrent de nous entendre parler jusqu’à plus soif des livres de Marie Kondo et Dominique Loreau comme s’il s’agissait des œuvres complètes de Shakespeare. Qu’eux ont la gentillesse de ne pas décider à notre place de ce que nous voudrions garder ou pas dans nos tiroirs. Que, en somme, ils sont formidables et qu’on a beaucoup de chance d’avoir leur bazar dans notre vie.





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