Le film a beau avoir été un succès, nous sommes nombreux à avoir trouvé que le Yves Saint Laurent de Jalil Lespert avec Pierre Niney, sorti en janvier, était un peu trop classique, lisse et anecdotique, pour rendre réellement hommage au génie du maître. En revanche, j’ai eu la chance de découvrir le Saint Laurent de Bertrand Bonello avec Gaspard Ulliel, qui sortira en septembre, et je suis tombée sous le charme. Here’s why :
- Argument de totale mauvaise foi : je suis une fan de Bonello quoi qu’il fasse ;)
- La maison Saint Laurent et Pierre Bergé ont mis des bâtons dans les roues à la production, notamment en refusant de leur prêter le moindre vêtement. Du coup, il a fallu reconstituer, et inventer : c’est la costumière Anaïs Romand (qui a habillé plusieurs films que j’adore, comme Demonlover d’Assayas, Holy Motors de Carax et le tout récent Bird People qui a tant touché Jeanne-Aurore) qui s’y est collée, collaborant aussi avec Olivier Châtenet, grand collectionneur (et jadis moitié des E2). Je trouve que ça rend quelque chose de plus actuel, de plus frais et de plus moderne, que de filmer des robes vintage. Les coupes ont été actualisées avec subtilité… c’est parfait.
- Au moins, ce n’est pas un Bergé show. C’est-à-dire que Pierre Bergé est là, bien là, très bien joué d’ailleurs par Jérémie Renier, mais qu’il n’est pas non plus trop trop là. En fait, il a surtout droit à une très longue scène de business absolument excellente, on est coincé dans un moche bureau pendant dix minutes, des hommes en costume parlent de licences et de gros sous : bizarrement, c’est passionnant, et en termes de Bergé, c’est suffisant.
- Louis Garrel est merveilleusement troublant et rend très attachant son personnage de Jacques de Bascher, sulfureux (voire persona non grata) dans la biographie du couturier. Pour plus d’infos, on lit le page-turner Beautiful people d’Alicia Drake, consacré à Saint Laurent, Karl Lagerfeld, et à leur amant à tous les deux, ledit Jacques de Bascher.
- On le savait déjà, mais Bonello a une esthétique, un point de vue. L’esthétique a parfois quelque chose de Guy Bourdin, souvent quelque chose des vraies boutiques Saint Laurent Rive Gauche de l’époque (orange superstar…), et fait au passage vivre une photo mythique d’Helmut Newton. Le point de vue s’attache non pas à raconter la vie d’YSL de sa petite enfance à son dernier souffle, mais à se concentrer sur quelques années, et surtout à illustrer le chaos de son âme.
- Le metteur en scène filme longuement le travail des petites mains dans les ateliers. On voit des aiguilles, des ciseaux, des toiles, de la concentration, de la minutie, de l’abnégation… Très juste, très beau.
- Il y a une scène époustouflante dans laquelle Valeria Bruni-Tedeschi passe en un clin d’œil de la bourgeoise coincée en chignon à la « femme Saint Laurent » en tailleur, mains dans les poches, libérée, et le chignon défait.
- Et une autre qui se passe dans les bureaux de Libé et dans laquelle Bonello himself et ses collègues se demandent comment titrer la mort du maître. On est dans les années 70, donc bien sûr, Saint Laurent est bien vivant, mais une rumeur, relayée notamment par Alain Pacadis, le donne mort. Bon, ceux qui aiment la branchouille alternative de l’époque trouveront ça très croustillant.
- Gaspard Ulliel est excellent en Saint Laurent. Mais honnêtement, Pierre Niney l’était tout autant.
L.G.