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Channel: l'armoire essentielle
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Clueless

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En ce moment, je me sens en  travaux, déconstruite, et franchement un peu perdue (« clueless » en anglais – rentabilisons ma maîtrise de littérature britannique pour une fois, et puis en outre, bien sûr, « Clueless » est un des meilleurs films de l’univers,  et qui traite justement du fait de prendre des vessies pour des lanternes en prêtant un peu trop d’importance aux apparences). J’ai déjà évoqué ma relation qui s’effiloche, depuis un moment, avec la mode, les vêtements, les apparences, justement. Cela fait des mois que cela me travaille, des mois que cela me pose bien des problèmes (= rappel, dans mon autre vie, j’écris sur la mode et les vêtements en permanence), que cela me fait me demander comment être sincère avec cela quand justement mon rapport à « cela » est si compliqué. Et si je règle mon rapport à « cela », une fois retrouvée la lumière, aurai-je encore envie de m’intéresser aux fringues, aux armoires essentielles, à tout ce sur quoi j’écris et me consacre depuis tant d’année ?

J’ai en effet passé une bonne partie de ma vie à penser aux vêtements. Une éternité, voilà l’impression que ça me donne. Enfant, non, bien sûr, enfin, j’avais bien mes petites préférences (souvenir ému de mes ballerines à nœud en nubuck rouge qui déteignaient sur les chaussettes les jours de pluie) et mes goûts discutables (ma tenue favorite, circa le CM1, une jupe à carreaux violets portée avec mon chemisier à lavallière vert prairie 012 Benetton et un collant en laine café au lait), mais grosso modo j’étais capable de me foutre complètement de ce que j’avais sur le dos et jamais il ne me serait venu à l’idée, comme je l’ai fait de si nombreuses fois adulte, de retourner chez moi me changer alors que j’étais déjà en retard. Même mon début d’adolescence a été assez affranchi des fringues, dans le sens où j’étais extraordinairement désinhibée, capable de porter n’importe quoi sans me poser de question, d’oser le look Punky Brewster (enfants des années 80, vous voyez vous aussi de qui je veux parler, non ?) sans ciller, de porter des jupes à 5 francs du fripier d’en bas de la rue sans me demander si c’était de la marque.

Et puis, je ne sais pas trop comment  - le processus a été trop insidieux pour que je puisse pointer du doigt le moment exact où la naïveté a fait place à l’obsession, le détachement à la compulsion - , cette belle insouciance m’a abandonnée. Les fringues sont devenues non plus une nécessité (= ne pas sortir nue dans la rue), voire un jeu (= trop fun de piquer le pull de ma mère), mais une véritable religion. Un truc immense dans ma vie, dévorant, omniprésent, le baromètre de mon bien-être, de ma personnalité, de la vision que j’avais de moi. Le pire, c’est que j’ai mis plusieurs décennies à m’en rendre compte, sans doute en partie, aussi, parce que le milieu dans lequel j’évolue et travaille valorise énormément l’attention portée aux belles choses. Et, oui, dans l’absolu, je suis absolument pour qu’on valorise les belles choses. Elles rendent la vie, oui, plus belle, et tant mieux si le design est là pour sublimer les objets du quotidien et nous permettre de porter des pantalons bien coupés plutôt que des sacs à patate. Sauf que le raffinement peut être un enfermement. Que l’obsession du paraître, de la perfection, du must-have, peut finir par étouffer.

Et donc, c’est comme ça que depuis des années je me livre à un petit manège, un manège sordide en réalité, mais assez bien validé et toléré par notre société de consommation, où finalement le « toujours plus » est une tare suffisamment partagée pour qu’elle en devienne la norme. J’achète des vêtements, beaucoup, je décrète que ça y est, c’est moi, c’est mon style. Que ces bottes, ce pull, ce manteau, ce sac, sont mon Graal qui vont enfin me permettre d’atteindre l’absolue félicité (= être une fille tellement classe que tout le monde s’évanouisse sur son passage). Sauf que, bien sûr, une fois l’objet acheté et suspendu dans mon placard, je découvre qu’il n’est que ça, un objet. Suspendu. Inerte. Il ne contient, tissé en lui, aucune substance magique me permettant de m’injecter de la confiance en moi. Il ne détient aucune force surnaturelle, aucune formule me transformant en princesse. Il est juste ce qu’il est : une fringue, bêtement, une fringue. Et moi, désillusionnée, dégoûtée, je n’ai déjà plus envie de la porter, cette fringue.

C’est ainsi que j’ai cru être la femme-femme qui porte des talons. Zoom, donc, sur des dizaines d’achats de chaussures (chères, forcément, sinon ce n’est pas vraiment une manière drôle de se torturer) revendues ou données aussitôt car « in-marchables » puisque dans la vraie vie, j’ai besoin d’un talon mesuré, d’une voûte plantaire bien définie, bref, le bon investissement pour moi ce sont plus les Birkenstocks ou les Nike Air que les Louboutin. J’ai aussi voulu être la quintessence de la Parisienne. Ben tiens. Donc, voici voilà l’achat du sac, pour le coup vraiment indécemment cher (et je ne le signale pas pour me faire mousser et valoriser mon pouvoir d’achat, juste pour souligner à quel point on peut débilement se ruiner pour une fausse idée qu’on a de soi, pour une religion de la fringue qui ne mène pas du tout à l’illumination), que je n’arrive pas à porter car il ne me ressemble pas du tout, parce qu’il est tellement must-have que j’ai l’impression que c’est lui qu’on voit et pas moi. Achats compulsifs, prise de conscience, purge et diète, puis rechute. Voilà depuis vingt ans mon cycle de consommation des vêtements et accessoires.

Un comble pour une femme qui, au fond, n’aime rien tant qu’un bête t-shirt porté avec un jean et des boots. Mais non. J’achète, j’accumule, puis je culpabilise, alors je vide mon placard, je détoxe à mort, je me sens à nouveau blanche comme neige, purifiée de ma maladie, non, vraiment, on ne m’y reprendra plus à cette saloperie de shopping, à croire qu’une écharpe ou une marque va changer ma vie. Mais je rechute. Inévitablement. Je voudrais pouvoir écrire tout cela au passé, mais comme je suis en plein processus, si ce n’est de guérison, tout du moins de prise de conscience, je ne veux plus me raconter que, ça y est, j’ai vu la lumière, Dieu m’a donné la foi, yeah. Quoique (allez, osons un point positif) mon armoire, à l’heure où j’écris ces mots, soit du genre vraiment minimale et essentielle. Mais je ne veux plus me réjouir trop vite.

En tout cas, résultat peut-être de tous ces hauts et bas avec mon placard, de ces dégoûts et passions, crises d’amour et ruptures, récemment je me suis rendu compte que je m’intéressais moins à tout "ça". Je n’arrive plus à lire un magazine de mode, pourtant je suis obligée de les regarder, c’est aussi mon métier, mais je ne sais pas, c’est peut-être d’en avoir tellement consommé, tellement avalé de ces articles et photos et vêtements qu’il faut absolument s’acheter, là, maintenant, que la nausée me prend quand j’ai une de ces parutions entre les mains. J’ai trop mangé de ce pain-là. Et je ne dis pas ça pour juger les filles qui continuent à aimer feuilleter leur « Elle » ou « Grazia », enfin si, d’une certaine manière je juge quand même, mais pas les filles, plutôt les magazines qui leur vendent ce rêve de la Fringue Magique qui va changer leur vie. Enfin, bref, je n’arrive plus à lire de magazines de mode. En dehors de mon incursion à Londres, j’ai du mal avec les boutiques… Même si, et là soyons totalement honnête, en bonne junkie, je continue à rôder dans les boutiques (et à zoner des heures Internet à regarder de la fringue virtuelle), sans acheter, c’est déjà ça, mais je continue à perdre beaucoup de temps à regarder, toucher, m’intéresser aux fringues – ok, un peu contradictoire avec ce que je viens d’écrire plus haut !

Mais, en réalité, ce que je voulais dire quand j’écrivais que « je m’intéresse moins à tout ça » c’est que, eh bien malgré les rechutes, malgré les cahots de mon cheminement d’acheteuse compulsive qui essaye de s’en sortir et a bien du mal à le faire, je commence, peu à peu à m’en foutre, mais alors m’en foutre d’une force, d’une force, de ce qui est bien, pas bien, correct, incorrect, de porter. Je ne dis pas que je vais devenir Jane Birkin et me pointer à une soirée black tie en jeans et Converse (quoique ? – dans notre « To-do list dressing », Soledad disait que c’était son uniforme pour survivre à des soirées chics…), mais que tout ce processus de prise de conscience, cette incapacité que j’ai désormais à me voiler la face en pensant que j’ai un rapport normal à l’achat et aux fringues, fait que ça se décrispe petit à petit. Même si je ne suis pas guérie, même si je ne veux pas avoir l’audace de penser que ça va même un petit peu mieux, en fait ça va un peu mieux et le signe de tout ça est que -, eh bien déjà j’ai réussi à me rendre compte qu’il ne fallait plus que j’achète d’escarpins à talons car au fond du fond je n’aime pas ça et je n’arrive pas à marcher avec.

Je me suis aussi rendu compte, et ça c’est peut-être une des choses les plus importantes en ce qui concerne ma compulsion (cela m’intéressera d’avoir l’avis d’autres dans le même cas), que mes achats et mon obsession autour d’eux sont aussi une question de vide à combler et d’amour qu’on veut recevoir. Il y a un peu de la relation tarifée, là-dessous. C’est vrai, quel bonheur que de voir un vendeur ou vendeuse vous adorer parce que vous avez fait chauffer la CB dans leur boutique. Quelle ivresse à entendre une vendeuse vous dire que vous êtes canon dans ce jean ou cette robe. Le compliment  est-il sincère ? Dur de savoir quand l’enjeu est de vous faire payer et quand, comme c’est mon cas, vous avez l’Ego un peu défaillant et que vous mourez d’envie que l’on vous rassure, que l’on vous dise que, oui ce jean va vous transformer, vous rassurer, combler toutes vos failles et doutes. Donc dans ma compulsion à moi, il y a de ça, je paye pour m’aimer, pour qu’on m’aime, et rien que de l’écrire, je ne dis pas que ça me fait aller mieux, mais au moins cela aide à en prendre conscience et là aussi à se décrisper, à en rire (bon, peut-être pas, à en rire, je n’en suis pas encore au stade du grand maître zen et de l’humour), à se dire, mais pourquoi diable est-ce que je fait ça ? pourquoi diable je pense qu’un bout de tissu va changer la vision que j’ai de moi ?

C’est aussi pour ça que j’avais adoré mon expérience avec Stephanie, parce que c’était la première fois que j’avais en face de moi quelqu’un qui dédramatisait tout ça (et pourtant, dans le cadre d’une de ces relations tarifées entre vendeur/acheteur), qui me faisait sentir que tout ça, « it ‘s not big deal », que si j’avais envie d’acheter quelque chose et bien très bien, mais il fallait vraiment que ça me soit utile, à ma vraie vie, pas à ma vie fantasmée où je porte des talons et des sacs minuscules, et que si je n’achetais rien, et bien, ce n’était pas bien grave non plus. 

C’est chouette de pouvoir penser que ma vie et mon estime de soi n’ont pas à être liées aux sous que je dépense, ou à ce que j’ai sur le dos (c’est ça aussi qui m’avait plus dans cette histoire des fringues toutes simples de « Notting Hill »). C’est chouette, cette sensation que je retrouve parfois de mon enfance, de m’en foutre. Ca ne dure pas très longtemps. Vite, vite, mon ego reprend le dessus. Mais c’est déjà ça. C’est déjà ça de gagné. Et pour la suite ? L’avenir le dira.

(N.B. Laure et moi nous étions juré, promis juré au début de ce blog de faire des posts courts et concis. Oups…)

These days, trying to come to terms with my fatigue of clothes, to distance myself from obsessive buying patterns and, generally, to be more sane. Quite a trip...

J.A.C.








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